Si vous êtes dépassé par votre grande-tante de 95 ans s’offusquant que vous décliniez son invitation à prendre l’apéro chez elle car « elle a survécu à la guerre, c’est pas un microbe qui aura sa peau ! », si vous ne supportez plus votre collègue qui vous charrie car vous êtes devenu addict au gel hydroalcoolique ou si vous ne comprenez pas pourquoi vos amis sont tous indisponibles pour votre fête d’anniversaire regroupant 80 personnes… Cet article vous permettra peut-être de mieux les comprendre et, qui sait, peut-être diminuer certaines tensions…
Depuis maintenant une quinzaine de jours nous sommes entrés dans la période du déconfinement progressif. Le gouvernement a annoncé un fort allègement des restrictions et a fait appel à la responsabilisation de chacun pour limiter les risques de propagation du virus. Le fait de définir un cadre plus large dans lequel les individus peuvent définir eux-mêmes leur champ des possibles (dans des domaines tels que le port du masque ou non, le regroupement dans la sphère privée, les déplacements personnels … ), met en lumière une grande variété de positionnements. Cette disparité de réactions peut provoquer de l’incompréhension et donc générer des tensions dans les relations familiales et professionnelles.
Pour certains d’entre nous « l’avant-après 11 mai » est passé totalement inaperçu, pour d’autres cela a renforcé la crainte de l’extérieur et le recours au domicile comme « ultime sociofuge* » (Parise, 2020). Enfin, pour nombre de personnes, le 12 mai au matin était quant à lui synonyme de libération, les rues prenant des airs de fête et les quais redevenant des lieux de rassemblements populaires comme si l’épidémie de Covid était dorénavant passée. Force est de constater que si le confinement a été vécu de façon très différente selon les individus il en est de même pour le déconfinement.
Il revient donc à chacun de créer son propre style pour cette collection printemps-été 2020 des déconfinements ! Levons le rideau sur le « Fashion Show » du déconfinement Covid !
Le déconfinement confiné
Le modèle du « déconfinement-confiné » convient aux personnes qui ont vécu le confinement comme une « parenthèse enchantée » (Parise, 2020), comme une sorte de retour aux sources, une période en dehors du temps ordinaire permettant de se recentrer sur ses valeurs, s’interroger sur les notions de sens (au travail, dans la vie en général…). Le logement est alors devenu « un lieu qui, en période incertaine, permet d’instaurer une normalité provisoire et rassurante. Dans ce cas, c’est le déconfinement qui inquiète » (Parise 2020). Après une période où tout était possible à envisager, le retour au monde réel peut être porteur d’une grande désillusion. Repousser la confrontation à la réalité du quotidien permet de prolonger un peu ce temps de retraite.
Le déconfinement-confiné est également répandu chez les personnes ayant investi leur domicile comme principale arme de défense dans le contexte de « guerre face au Covid » annoncé par le Président de la République. Pour certaines personnes cela peut conduire à une réelle angoisse pouvant s’exprimer via le « syndrome de la cabane » ou « syndrome de l’escargot » largement relayé dans les médias. Ce syndrome a été théorisé au début du XXème siècle à l’époque de la ruée vers l’or. Il a été observé chez les chercheurs d’or qui, comme l’indique Rozenblum (2020), après avoir vécu dans leurs cabanes pendant de longues périodes, « éprouvaient une certaine méfiance à l’égard des gens qui les entouraient, une peur de la vie sociale et une nostalgie de leur vie recluse » elle indique également que le syndrome de la cabane cristallise plusieurs peurs : peur de la contamination, peur du regard des autres, peur de la foule, peur de retrouver un quotidien stressant par exemple.
A l’incapacité réelle de sortir de son domicile peut s’ajouter l’angoisse de se percevoir comme « anormal » ou atteint d’une pathologie mentale… La bonne nouvelle est que NON le syndrome de la cabane n’est pas une pathologie mais une réponse émotionnelle qui pourra tout à fait s’estomper avec un accompagnement pour relativiser les risques associés à la confrontation au monde extérieur tout en respectant les gestes barrières afin d’assurer sa sécurité et celle des autres (en commençant par se fixer de petits objectifs etc).
Le déconfinement libéré - délivré
Le « déconfinement libéré-délivré » correspond à la tendance de reprendre sa vie « comme avant » avec certains comportements pouvant être en inadéquation avec les consignes du gouvernement et ainsi être considérés comme des prises de risques : organisation d’évènements privés regroupant un grand nombre de personnes, non-respect des gestes barrières sur le lieu de travail…
Comme le rappellent Peretti-Watel & Châteauneuf-Malclès (2020) « les conduites à risque ont une signification pour les individus, en lien avec des croyances, des rites, un besoin de réalisation de soi, d’affirmation identitaire, d’intégration sociale, etc…[…] » concernant le confinement ces auteurs expliquaient : « très souvent, il existe pour les individus des risques concurrents au risque sanitaire. Aujourd'hui, certaines personnes sont prêtes à s'exposer au risque d'être infectées par le coronavirus en ne se pliant pas aux mesures de confinement, parce que des risques concurrents immédiats pèsent plus lourd : elles risquent de perdre leur travail, des revenus, de ne pas réussir à mener à bien un projet, elles redoutent la solitude, etc. Le risque de santé que les autorités cherchent à gérer n'est pas forcément la priorité pour tout le monde. Beaucoup de personnes craignent davantage les conséquences que sa gestion fait peser sur leurs modes de vie ou leurs conditions de vie ». Nous pouvons aisément supposer que ce même mécanisme est en jeu dans le rapport au déconfinement : le lien social ou la nécessité de retrouver une activité professionnelle « comme avant » peut être le besoin prioritaire pour nombre de personnes relayant au second plan les risques liés à l’épidémie.
Le déconfinement mixte
Pour finir, le « déconfinement mixte » présente une position nuancée entre les deux modèles précédents. Il concerne les personnes qui, tout en respectant les gestes barrières et pouvant présenter un esprit critique quant aux règles en vigueur, visent un retour à la vie la plus normale possible en respectant les gestes barrières préconisés. Une illustration de ce positionnement peut se trouver dans ce verbatim : « Nous avons fait un apéro avec des amis, nous étions huit au total. Nous avons fait attention à prendre des toasts individuels, à utiliser des pics, à ne pas mélanger nos verres et à être à bonne distance les uns des autres. C’était une ambiance étrange mais ça a fait du bien de se retrouver ».
Bien entendu la catégorisation présentée ci-dessus ne saurait être exhaustive et ne peut pas représenter toutes les singularités. Son but est de donner des clés pour comprendre que les membres de votre entourage, qu’il soit professionnel ou personnel, répondent à cette situation de déconfinement en fonction de leur propre vécu antérieur et en réponse à leurs propres angoisses. Le modèle de confinement de chacun est « choisi » sur la base de facteurs irrationnels, « Un individu va arbitrer de manière plus ou moins inconsciente entre plusieurs thématiques et au final, va avoir sa gestion du risque. Les critères pris en compte sont notamment liés à la saleté, à la pollution, au lieu, à la pratique…. Ce sont des choses assez irrationnelles, liées à l’interprétation de chacun. On a surtout la règle de la proxémie : est-ce que le lieu ou l’activité est avec des inconnus, des collègues, des amis, des connaissances, ou dans un cadre plus intime ? On voit qu’un inconnu est considéré comme très dangereux alors qu’un proche, qu’on a très envie de voir, est considéré en meilleure santé » (Parise, 2020).
Donc lorsque votre tante, votre collègue ou vos amis ont des réactions qui ne correspondent pas à votre façon de vivre le déconfinement rappelez-vous que chacun fait de son mieux avec ce qu’il est (sans chercher à les analyser !). Votre priorité est de préserver votre propre cohérence interne. Bien entendu si toutefois la situation reste très complexe à gérer pour vous et que en ressentez le besoin, n’hésitez pas à contacter un professionnel de santé pour vous accompagner.
Références :
- PARISE, F. (2020), « Le confinement, une transition vers de nouveaux mode de vie ? », La Conversation, https://theconversation.com/le-confinement-une-transition-vers-de-nouveaux-modes-de-vie-134616
- PARISE, F. (2020), https://www.anthropologiedudeconfinement.com consulté le 22/05/2020
- PARISE, F. (2020), « Déconfinement. Le « flou artistique » nourrit l’angoisse et sème le flou dans les familles ». Ouest-France.
https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/deconfinement-le-flou-artistique-nourrit-l-angoisse-et-seme-la-zizanie-dans-les-familles-6843002
- PERETTI-WATEL, P. & CHATEAUNEUF-MALCLES, A. (2020), « Sociologie du risque et crises sanitaires : un éclairage sur la pandémie du coronavirus » http://ses.ens-lyon.fr/articles/sociologie-du-risque-et-crises-sanitaires-un-eclairage-sur-la-pandemie-du-coronavirus
-ROZENBLUM, J (2020) Interview sans le Journal des femmes : https://sante.journaldesfemmes.fr/fiches-maladies/2636665-syndrome-de-la-cabane-definition-symptome-test-cause-solutions/
* espace qui favorise l’isolement social
Photo : Brunel Johnson
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