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Toi + moi + .... le confinement! Quand les retraités éclairent les couples confinés

Dernière mise à jour : 2 mai 2020

Le confinement fait maintenant partie de notre rythme de vie. Il a impacté, impacte et va encore impacter notre quotidien dans les jours à venir. Nous connaissons dorénavant par cœur les moindres recoins de nos logements. Notre environnement nous est particulièrement familier. Et au milieu de ce paysage il/elle est là : « doudou », « chéri(e) », «chouchou »… Celui ou celle avec qui nous partageons depuis maintenant tant de jours les moindres instants de nos existences. Le partage par le couple d’un même espace dans une temporalité sans contraintes imposées par l’activité professionnelle invite à faire le parallèle entre vie de couple confiné et vie de couple retraité (la contrainte spatiale étant bien entendu renforcée en situation de confinement). C’est par cet angle que nous traiterons le sujet de la vie de couple à trois : toi, moi et le confinement ! Nous nous appuierons sur les travaux de Vincent Caradec et les appliquerons à deux couples : Michel & Liliane, Léa & Victor.


Michel et Liliane, retraités expérimentés, habitent dans un agréable pavillon depuis qu’ils ont pris tous les deux leur retraite il y a maintenant 10 ans. Il y a 2 ans un jeune couple, Léa et Victor, ont emménagé dans la maison qui leur est mitoyenne. Michel et Liliane s’amusent souvent à commenter les péripéties des deux tourtereaux; à l’annonce du confinement ils ont eu une certaine appréhension en s’imaginant tous les deux privés de leurs loisirs respectifs. Par-dessus la haie Léa et Victor leur disaient quant à eux se réjouir de cette période de « lune de miel anticipée »… laissant leurs voisins aînés doucement rieurs…


Les premiers jours de confinement se passent en toute sérénité des deux côtés de la haie. Liliane s’amuse d'apercevoir Victor apporter le petit déjeuner au lit à sa douce. Puis, les jours passants, le rituel est oublié, le petit déjeuner délocalisé dans la cuisine est moins romantique et les tasses trônent au milieu des miettes sur la table du petit déjeuner… Victor se plaint du manque d’investissement de Léa dans les tâches ménagères. Quant à elle, elle trouve lassant de le voir sans cesse passer derrière elle pour ranger ses affaires.


Effectivement, selon Caradec la retraite est une période susceptible de raviver les tensions entre ce qu’il nomme le « moi individuel » et le « moi conjugal ». Le « moi conjugal» est définit par De Singly comme la manière dont l’identité personnelle se modifie lors de la formation du couple ; ce même auteur, cité par Caradec, précise que « si devenir conjoint, c’est devenir en quelque sorte « étranger à soi-même », il n’en demeure pas moins que « le moi conjugal » n’étouffe pas le « je » initial ». La construction du « moi conjugal » se bâtit donc sur une négociation entre les désirs du « je » et les concessions qu’il est prêt à consentir pour faire couple… mais concession ne veut pas dire renoncement. Caradec fait l’hypothèse que la retraite constitue un « nouveau mariage » et ré-active cette création du «moi conjugal » et donc les tensions initiales qui y sont liées. Ainsi la retraite, et nous pouvons postuler le confinement, vient raviver les éventuelles frustrations nées des concessions réalisées pour se constituer couple. Le confinement, en rendant inaccessibles les sphères du « moi individuel » qui servaient de soupape de déchargement des tensions générées par la vie de couple, accroît ce phénomène.

Trouvant toujours un chemin pour se faufiler, les frustrations accumulées finissent par s’exprimer et le conjoint est en première ligne pour les recevoir.

Valable pour la retraite comme pour le confinement, trouver un espace de déchargement des tensions en s’accordant des moments en solo : lecture, méditation, musique, cuisine… permettent de recréer une bulle de sphère personnelle pour laisser exprimer ce « moi individuel » pouvant se sentir étouffer.


Un jour Liliane trouve Michel pensif dans son salon, il regarde par la fenêtre.

- « Je crois que c’est la première fois que je vois Victor s’occuper du potager»

- « Je tiens le pari qu’avant ce soir Léa va trouver quelque chose à y redire » lui répond Liliane amusée. « Quand je repense aux scènes que tu me faisais quand j’essayais de t’aider à faire le jardin au début de notre retraite, rien n’était jamais assez bien pour toi ! ».

Et cela ne manque pas, environ 15 minutes plus tard Léa apparaît à son tour passablement énervée pour reprendre le travail réalisé par Victor. Notons que cette scène se reproduira lorsque cette fois Léa s’aventurera à tondre la pelouse…


Cette scénette met en lumière la question de « l’investissement privilégié dans un espace de reconnaissance identitaire lié à la légitimation des savoirs et compétences associés» (Dubar cité par Caradec, 1996). Autrement dit, en s’immisçant dans une tâche où Léa s’est investie et de laquelle elle tire satisfaction et reconnaissance, Victor, malgré toute sa bonne volonté, met en péril la construction identitaire de Léa. Cette dernière le vit comme une remise en cause de ses compétences.

Cela souligne l’importance de respecter les espaces investis par chacun, insistons sur l’investissement « choisi » et non « subi » pour telle activité ; aussi est-il important d’échanger avec votre partenaire à ce sujet notamment pour les tâches domestiques jugées plus ingrates…


Du côté des retraités quelques tensions sont également palpables… enfin surtout pour Michel qui a toujours eu un besoin d’indépendance plus important que son épouse. Liliane, plus centrée sur la sphère familiale arrive à compenser un peu le manque de ses proches via des appels visio. Ayant toujours été dans une attitude plus fusionnelle que son mari, elle trouve des éléments de satisfaction à passer tout ce temps à ses côtés ; pour autant l’attitude parfois irritable de son conjoint n’est pas sans lui rappeler quelques écueils qu’ils ont connus au début de leur retraite lorsque celui-ci lui reprochait d’être « toujours sur son dos et de l’étouffer ».


S’il est indéniable qu’aujourd’hui nos espaces de vies sont plus réduits qu’à la normale, le challenge est d’autant plus grand de trouver la « bonne distance conjugale » permettant à chacun de trouver sa place dans le foyer entre fusion et indépendance. Selon Caradec, cette bonne distance repose entre autres sur une organisation spatiale permettant la mise en place de territoires personnels et de zones conjugales ; et la mise en place de nouveaux rythmes conjugaux avec des « rituels d’évitement » permettant des temps de rencontre. Ainsi si votre conjoint(e) vous semble absent lorsqu’il/elle se trouve dans son bureau, son coin de canapé, ou autre endroit exigu de commodité intime, peut-être est-il simplement dans son territoire personnel lui permettant de mieux vous retrouver par la suite. Dans ce cas-là, essayez de respecter au mieux son besoin de se ressourcer et … pourquoi pas en profiter pour souffler également de votre côté et appeler vos ami(e)s !


Référence :

- CARADEC, V. (1996), « Le couple à l’heure de la retraite », Le sens social, Presses universitaires de Rennes, 296 p


Photo: Taylor HERNENDEZ

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