Comme nous l’avons vu dans le post précédent, s’improviser télétravailleur nécessite quelques adaptations et une certaine organisation. La tâche peut en outre être complexifiée par la présence d’un ou de plusieurs enfants à domicile… obligés pour leur part de s’improviser « télé-écoliers », voire « télé-crêcheurs ». Qu’implique cette cohabitation non prévue ? Qu’interroge-t-elle ? Que provoque-t-elle ? Et quels sont les aménagements nécessaires pour y faire face ? Pour répondre à ces questions je vous invite à voyager dans la vie de Sam…
Nous sommes le jeudi 12 mars. Après une journée de travail Sam, comme 25 millions de français, est au rendez-vous donné à 20h par le Président de la République. La population est alors informée que l’ensemble des crèches, écoles et lycées seront fermées « jusqu’à nouvel ordre ». Beaucoup de parents ajoutent le terme de « continuité pédagogique » à leur champ lexical du quotidien. Quatre jours plus tard, Sam découvre les mesures de confinement, le recours massif au télétravail et invente sa manière de conjuguer télétravail et éducation…
Suite à une éventuelle phase de panique, Sam passe à l’action et met rapidement sur pied une nouvelle organisation pour gérer la poursuite de son activité professionnelle et la garde de ses enfants. Dans les dispositions prises par l’Etat, l’arrêt pour la garde des enfants de moins de 16 ans n’est ouvert qu’aux personnes qui n’ont pas la possibilité de faire du télétravail, le message envoyé par l’Etat est donc clair : le télétravail permet d’assurer la garde des enfants ; Sam mènera donc les deux activités de front, voyons ci-dessous des éléments pouvant étayer son raisonnement (conscient ou non).
Peu d’articles de presse se sont penchés sur les difficultés rencontrées par les parents, ce sujet est pourtant d’actualité et a un impact majeur pour nombre d’entre eux. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela.
Tout d’abord : « Nous sommes en guerre ». Cette phrase, répétée par le Chef de l’Etat à plusieurs reprises invite à penser aux récits de guerre de nos anciens ou aux reportages diffusés dans les médias sur des pays actuellement décimés. Un lien existe entre l’observance de nos devoirs envers autrui et la manière dont nous pouvons nous considérer comme être moral (Maillard, 2017). Se plaindre de devoir assurer la scolarité ou la garde de son enfant en plus de son travail habituel n’est sans doute pas moralement défendable lorsque les soignants sont présentés comme des héros allant au front.
De plus, le contexte sanitaire actuel provoque une crise économique d’une ampleur mondiale, chacun connait dans son entourage proche ou lointain, une personne dont les revenus vont être impactés par une période de chômage partiel, risquant de ne pas retrouver son emploi à l’issue du confinement voire de perdre son entreprise. Cela renvoie à la balance des mérites de Böszörményi-Nagy, cité par Crespelle (2009) : « quand quelqu’un est frappé et que quelqu’un s’en sort, celui qui s’en sort a une dette vis-à-vis de celui qui n’en s’en sort pas ». Crespelle ajoute que « Ce qui permet d’exorciser cette culpabilité, c’est l’acquittement de cette dette […] en apportant à la collectivité un concours, un apport, de l’argent, un savoir-faire, voire un sacrifice. En faisant cette "réparation", on s’acquitte. ». Dans cette vision, le fait d’endurer la situation de cumuler emploi et éducation scolaire des enfants peut être perçu comme une rétribution symbolique envers la société.
Nous sommes le mercredi 18 mars, Sam plonge dans le grand bain. Conscience professionnelle oblige, il faut assurer ! Un espace de travail est installé, les enfants sont informés de l’organisation tout est prêt et programmé à la minute. Oui mais… préparer un repas équilibré pour toute la famille prend un peu plus de temps ( oui un repas tout prêt aurait été plus rapide mais bon ils sont en pleine croissance !) Etonnamment les enfants se réveillent très tôt lorsqu’il n’y a pas école… la période matinale prévue pour la gestion des mails urgents devra être reportée. Et puis il y a les « A la crèche vous êtes plusieurs enfants pour une seule éducatrice donc n’essaie pas de me faire croire que c’est normal de rester sur mes genoux toute la journée », « Comment ça tu as déjà fini ton exercice ? », « Tu veux faire autre chose ? Mais ça ne fait que 10 minutes que tu as commencé ton coloriage ! », « Je t’ai déjà répété 100 fois que le confinement n’est pas une période de vacances, enlèves ton pyjama et arrêtes de jouer! (fonctionne aussi pour consoles vidéos, dessins animés etc…) »… les aléas de la parentalité en somme…
Dans un article de 2005, Vergus et Boisson relèvent qu’en France « Si l’on s’accorde désormais, hommes politiques compris, à reconnaître qu’être parent “n’est pas facile tous les jours”, il reste un déficit de pensée de la condition parentale et du couple avec enfant ». Dans ce même article, elles ajoutent « Le “métier de parent” porte en lui sa charge mentale, ses propres facteurs de stress et de burn-out ».
Et que dire des frontières entre les sphères professionnelles et personnelles lorsqu’elles partagent le même espace qu’il soit de temps ou de lieu ? Dans une situation de télétravail classique il est observé une perméabilité plus importante de la sphère personnelle qui risque de se faire grignoter par la sphère professionnelle (Vayre, 2019) . Mais dans la situation que nous vivons aujourd’hui, la défense des frontières de la sphère personnelle/familiale est assurée par des mercenaires en culottes courtes prêts à en découdre… voire à faire fi des frontières pour occuper tout le territoire. Le parent télétravailleur subit donc une pression plus accrue des deux côtés sans pouvoir se réfugier dans la sphère loisirs qui souvent se situe hors des murs du foyer, et donc… hors d’accès actuellement.
Aujourd’hui Sam a pris conscience qu’être 100% télétravailleur et 100% wonder parent n’était pas possible (les tentatives de call conf la nuit n’ont pas été plus concluantes que celles des cours nocturnes, de même s’endormir sur son clavier d’ordinateur n’assure pas la meilleure prose dans les mails professionnels…). Ainsi il lui a fallu repenser son organisation idéale pour mettre en place un fonctionnement plus équilibré.
Quelques trucs et astuces:
- Garder une organisation de semaine la plus proche possible du pré-confinement : on évite la journée pyjama en semaine pour les enfants (pour les grands j’en ai assez dit dans mon précédent article il me semble…), on essaie de préserver au maximum l’heure du coucher habituel. Cela vaut autant pour les enfants que pour les parents : la perte de rythme est facteur de risques. En plus cela permet de retrouver une certaine « exceptionnalité du week-end ».
- Etablissez au maximum les frontières entres sphère professionnelle et personnelle en donnant par exemple un code vestimentaire. Une maman donnait l’astuce suivante : « quand maman porte son pull de travail elle n’est plus disponible pour jouer aux playmobils », une autre indiquait avoir affiché un emploi du temps à la vue de tous indiquant à chacun les moments de travail en autonomie, les moments partagés etc ; cela peut être rassurant pour l’enfant de voir que le fait de prendre soin de lui a bien été intégré dans l’organisation de la journée.
- S’accorder du répit sur l’exigence d’éducation parentale : Liliane Holsein, psychanalyste auteur du livre « Le Burn Out parental » invite les parents, dans les moments où cela semble plus difficile, à lâcher la bride concernant certains points d’éducation pour pouvoir passer du temps agréable avec ses enfants.
- Gardez à l’esprit qu’enseigner est un métier à part entière et qu’il est très différent de celui de parent ! Les personnes qui font école à la maison ont fait un réel choix de vie et ont préparé ce projet parfois longtemps avant de se lancer.
- Ne vous mettez pas la pression sur le nombre d’heures passées à travailler : il est reconnu que le temps passé en télétravail est plus productif ( Dumas & Ruiller, 2014). Le télétravail est corrélé à un taux de Burn Out important, votre santé doit être prioritaire.
- Lorsque les deux parents sont présents, se répartir la journée en deux pour garder les enfants et travailler à tour de rôle.
- N’oublions pas que si cette période est complexe à gérer pour nous, elle l’est également pour les enfants qui se trouvent privés de leurs copains/amis d’école, activités sportives etc…
En conclusion, peut-être connaissez-vous un ou une Sam dans votre entourage qui se sent un peu perdu(e) en ce moment, peut-être croisez-vous Sam régulièrement dans le miroir ; dans ce cas n’hésitez pas à lui rappeler qu’il/elle n’est pas seul, que ses proches peuvent le/la soutenir et qu’au besoin des professionnels de santé peuvent l’accompagner.
Références :
- CRESPELLE A. (2009), « Huit types de culpabilité », Actualité en analyse transactionnelle, n°132, p.15-24
- DUMAS M., RUILLER C. (2014), « Le télétravail : les risques d’un outil de gestion des frontières entre vie personnelle et vie professionnelle ? », Management & Avenir, n°74, p.71-95
- MAILLARD N. (2017), « Pour une défense de la notion de devoir envers soi », Raison publique, n°22, p.69-80
- VAYRE E. (2019), « Les incidences du télétravail sur le travailleur dans les domaines professionnel, familial et social », Le travail Humain, n°82, p.1 - 39
- VERJUS A., BOISSON M. (2005), « Le parent et le couple au risque de la parentalité ; l’apport des travaux en langue anglaise », Informations sociales, n°122, p.130-135
photo: Annie SPRATT
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