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Photo du rédacteurAnne-Claire GARNIER

Quelles répercussions psychologiques de la crise sur les salariés? (intervention au colloque)

Dernière mise à jour : 4 mars 2021

- « Miroir mon beau miroir, dis-moi qu’elles sont les répercussions psychologiques de la crise sanitaire/économique actuelle sur les salariés ? »

- « Alors … Comment dire… ».


Le 9 février 2021, j’ai eu le plaisir de participer au colloque virtuel « Covid 19 : le nouveau monde du travail » organisé par les étudiants du Master 2 Droit Social et Management des Ressources Humaines de l’université de droit de Nantes. Il m’a alors été demandé de répondre à l’épineuse question :

« Quelles répercussions psychologiques de la crise sur les salariés ? » .


Voici les principaux points développés lors de mon intervention.


Une crise encore en cours … Donc une nécessité de prudence extrême dans l’interprétation des données.


Lorsque l’on aborde le sujet de la santé mentale, il est impératif d’être très précautionneux avec les généralisations éventuelles et l’analyse des sources d’informations.

Effectivement, des chiffres et analyses divergentes peuvent être véhiculés dans les médias. A titre d’exemple :





Pourquoi un appel à la prudence ? Parce que les propos alarmants peuvent, chez certaines personnes, être générateurs d’une culpabilité du type « personnellement je vis bien la crise, suis-je normal ? Suis-je particulièrement égoïste? ». Quant à l’inverse, les personnes en souffrance recevrons les propos très optimistes comme une mise en évidence de leur propre incapacité à faire face à cette situation « je ne comprends pas pourquoi moi je réagis si mal alors que les autres arrivent à faire avec. Qu’est ce qui cloche chez moi ? ».


Ainsi, non contents de devoir faire face aux impacts de la crise réelle que nous traversons, nous nous ajoutons une pression supplémentaire sur la façon dont nous devrions la vivre…


Une seule certitude : nous sommes tous impactés… mais pas de la même façon.


Comme déjà présenté dans l’article « J’aime le confinement, c’est mal ? », chacun d’entre nous effectue une évaluation subjective du risque et lui attribue ainsi un degré de gravité différent. Cette évaluation subjective est liée à :


- certaines caractéristiques du risque lui-même : puis-je contrôler ce risque ? Si j’attrape la Covid 19 est ce que j’estime que les conséquences seront graves ou non ? Ai-je beaucoup de risque d’attraper ce virus ?...

- des variables psychosociologiques : l’âge, le sexe, l’expérience, la motivation, la culture, l’implication dans la situation

- des variables cognitives : ai-je la capacité de traiter les informations qui me sont données, de m’en faire une analyse ?

- la perception de la cible du risque : qui peut être gravement impacté par le coronavirus : moi ? mes proches ? la société dans son ensemble ?

- l’évaluation de son exposition personnelle et de son aptitude à y faire face : quelle est mon exposition réelle au virus ? Les efforts pris pour me protéger sont-ils suffisants ? Suis-je potentiellement vulnérable ?


En fonction de l’investissement des différents facteurs ci-dessus mentionnés, Kouabénan & al (2007) indiquent qu’ils peuvent conduire à l’illusion d’invulnérabilité. On se perçoit alors comme moins susceptible qu’autrui de subir les conséquences néfastes d’un événement négatif. L’illusion d’invulnérabilité repose sur l’illusion de contrôle et l’optimisme irréaliste.


Outre cette évaluation subjective, n’oublions pas que nous avons des conditions matérielles profondément inégales pour vivre cette période : possibilité ou non de télé-travailler par exemple. Nous observons également une grande disparité dans les conditions d’exercice du télétravail comme en témoigne l’infographie suivante :



(Enquête menée par Inkdata du 4 au 19 novembre 2020 sur un échantillon de 1208 français)


Il est primordial de reconnaître la singularité de chacun dans la manière dont cette crise résonne en lui. Cela implique une grande écoute de la part des managers pour détecter si des collaborateurs se trouvent en difficulté. L’idéal est de prendre conscience de l’impact de la crise sur soi pour ne pas généraliser notre façon de la vivre à l’ensemble de nos collègues. Enfin, de bien intégrer que des phénomènes inconscients sont à l’œuvre afin de ne pas être dans un posture de jugement.


Quelques grandes lignes semblent tout de même se dessiner :


Tout en gardant à l’esprit la singularité de chacun, il apparait quelques éléments convergents au sein de la population des salariés.


Un risque de fatigue plus important.


Lorsqu’une personne est soumise à une menace, elle réagit ! Dans l’article Ca va, juste un peu de fatigue je propose de faire un parallèle avec le syndrome générale d’adaptation élaboré par Hans Selye.

Le SGA est composé de 3 phases : alerte, résistance, récupération. Nous pouvons dire que dans la situation que nous vivons, la période de résistance dure dans le temps. Nous avons eu un petit répit durant l’été mais cette période n’a été que de courte durée. Comme nous l’avons observé juste avant les vacances scolaires, une crainte de nouvelle fermeture des écoles et de re confinement est toujours bien présente dans les esprits.


Or, selon Stora (2005) « lorsque les individus font face quotidiennement à des attaques de diverse nature, des pertes, des frustrations et des menaces évoquant des conséquences redoutées. […] Les sentiments et émotions liés à ces différents facteurs externes du stress peuvent remettre en question l’homéostasie individuelle, c’est-à-dire l’équilibre psychique, émotionnel et somatique ».


Donc, si vous sentez qu’un de vos collaborateur, collègue ou vous-même êtes un peu plus fatigué ou sensible qu’à l’accoutumée, soyez à l’écoute, essayez de prendre du recul et n’oubliez pas que le contexte n’est pas des plus clément pour tout le monde… On essaie de garder la tête froide…


Du stress, de l'angoisse et de la culpabilité induits par les injonctions paradoxales.


Les entreprises sont soumises à d’importantes pressions et doivent faire face à de réels enjeux économiques. Pour répondre à cela, certaines d'entre elles vont viser une meilleure productivité et donc demander à leurs salariés de redoubler d’efforts dans un contexte contraint par de nouveaux protocoles d’hygiène à respecter… sans compter celles qui ont demandé à leurs salariés de travailler pendant leur période de chômage partiel.


Dans ce cas, les salariés doivent faire face à ce que l’on appelle une injonction paradoxale.

L’injonction paradoxale est une expression qui contient une contradiction formée de deux demandes qui s’opposent ou encore de deux obligations contradictoires (Bourocher, 2019). Si certaines peuvent prêter à sourire du type « Faites ce que je vous dis et vous serez les maîtres de vos vies », les injonctions paradoxales insidieuses du quotidien sont génératrices de stress, d’angoisse, de culpabilité (car il est par définition impossible de répondre aux deux injonctions) et de peur (liée aux éventuelles sanctions qui s’en suivront).

Ainsi les injonctions paradoxales : « restez chez vous mais allez travailler » ou « Produisez le même niveau de production en respectant un nouveau protocole plus contraignant » peuvent être des facteurs de stress importants pour vos collaborateurs.


Il faut garder à l’esprit que les différents postes peuvent être impactés par la nouvelle organisation interne et les contraintes externes telles que les horaires de couvre-feu par exemple. Cela doit être pris en compte dans la communication envers les collaborateurs et objectifs fixés.


Le travail à distance : un risque de surcontrôle et de perte du collectif de travail générateur de souffrance.


Selon l’étude menée par Parise, certaines personnes ont vécu le confinement comme une «parenthèse enchantée », sorte de retour aux sources, période en dehors du temps ordinaire permettant de se recentrer sur ses valeurs, s’interroger sur les notions de sens (au travail, dans la vie en général…). Ainsi, après une période où tout était possible à envisager, le retour au monde réel peut être porteur d’une grande désillusion et les dysfonctionnements apparaître de façon assez claire.


De plus, la prise de distance physique avec les collègues et supérieurs hiérarchiques modifie la relation et tous les managers ne sont pas à l’aise, ou tout simplement n’ont pas été formés, à la gestion d’une équipe à distance. Ainsi, pour se rassurer, certains demandent de plus en plus de reportings à leurs collaborateurs, une multiplication des appels et mails pour vérifier que le salarié est effectivement sur son poste de travail... Ce surcontrôle entraine une augmentation de la charge de travail et une réduction de la marge manœuvre de chaque salarié.

Or, selon le modèle de Karasek, la coexistence d’une importante exigence au travail et une faible latitude décisionnelle va provoquer une insatisfaction professionnelle et une charge mentale difficile à gérer.

Voici un témoignage illustrant ce propos : « pendant le 1er confinement on nous a laissé carte blanche pour nous organiser et créer des outils, et ensuite les managers ont tout balayé et nous ont imposé une nouvelle manière de travailler, nous n’avions plus notre mot à dire comme si tout ce que nous avions fait ne valait rien ».


Il est nécessaire d’accompagner et former les managers et collaborateurs à ce nouveau mode de gestion d’équipe à distance. Cela requiert une organisation basée sur la confiance réciproque notamment pour éviter le surcontrôle et la diminution de latitude décisionnelle qui pourront conduire à une mise en souffrance des équipes.


Enfin, cette privation de relations professionnelles en « vrai », permet aussi de conscientiser l’importance du travail dans nos vies. On observe ainsi une prise de conscience de ce que le travail apporte à notre équilibre psychique et l’importance du collectif de travail pour soutenir le sens du travail et faire face collectivement aux imprévus. Voici un témoignage allant dans ce sens : « La semaine dernière je suis retournée à mon bureau, je n’y étais pas obligée mais j’avais besoin de revoir mes collègues et mon environnement de travail ».


Un des enjeux que rencontrent aujourd’hui les entreprises, est de faire vivre le collectif de travail malgré la distance physique entre les collaborateurs. Pour cela de nouveaux modes de communication sont à penser, de nouveaux rituels, de nouveaux espaces de communication informelle doivent se créer pour remplacer la machine à café ou encore la pause déjeuner.


C’est notamment pour cela, qu’en temps «normal » il est préconisé un maximum de 3 journées de télétravail par semaine.


Via le télétravail généralisé, la sphère professionnelle s’est encore plus invitée dans nos foyers, dans nos familles… La porosité entre ces deux sphères s’est accrue. La disparition d’un « sas » entre les deux : trajet en voiture, en transport en commun…, accroît cet effritement de la frontière entre nos vies personnelles et professionnelles. Il est plus difficile de laisser les problèmes au bureau … lorsque ce bureau est dans votre salon !

Nombre de managers ont déjà pris la mesure de cette complexité en prenant plus en compte les contraintes personnelles de leurs collaborateurs, toutefois, en tant qu’employeur, ils se doivent de respecter une juste distance pour ne pas se montrer intrusifs. Alors comment faire ?


Selon Baines et Gelder (2002) : L’irrégularité du rythme de travail ou la surcharge de travail peuvent provoquer un manque de temps de récupération nécessaire, des troubles du sommeil et de la fatigue en excès. Ces données peuvent certes se transposer dans le cadre d’un travail en bureau mais la situation de télétravail accentue ces effets et augmente le risque de présenter des addictions du fait du manque de séparation avec la vie privée.


Ainsi, une des solutions serait d’être très vigilant au respect des horaires de travail (vive la programmation d’envoi des emails pour le lendemain matin par exemple) et, encore une fois, de veiller à ne pas induire de surcharge de travail (injonctions paradoxales, surcontrôle…) afin de ne pas accentuer les effets possiblement néfastes du télétravail.




Cette lecture des possibles répercussions psychologiques de la crise sur les salariés est à situer dans une période donnée. Comme indiqué en préambule, cette crise étant encore en cours, nous manquons du recul nécessaire pour en tirer de réelles conclusions.


Mon objectif principal, lors de cette intervention, était de mettre en lumière l’importance de ne pas généraliser et d’avoir à l’esprit que la crise de que nous traversons actuellement a des répercussions pouvant différer d’une personne à l’autre.

Peut-être cette situation n’aura-t-elle que peu d’impact sur vous, peut-être en aura-t-elle beaucoup… mais aucun de ces deux cas de figure n’est anormal. Si toutefois vous sentez qu’un de vos proches, un collaborateur ou vous-même êtes en difficultés, n’oubliez pas que des professionnels de la santé peuvent vous accompagner.




Sources:


- BOUROCHER, J. (2019), « Injonction paradoxale », in VANDEVELDE-ROUGALE, A & al Dictionnaire de sociologie clinique, p 365-367

- CHAPELLE, F. (2018). 16. Modèle de Karasek. Dans : Frédéric Chapelle éd., Risques psychosociaux et Qualité de Vie au Travail: en 36 notions (pp. 107-112). Paris: Dunod.

- KOUABENAN D-G, & al (2007), « Des facteurs structurants aux biais ou illusions dans la perception des risques », Ouvertures psychologiques, chapitre 6, p. 77-89

- PARISE, F. (2020), « Le quotidien du confinement », Madame l’anthropologue, ép 2 saison 1, podcast du 9/04/20 https://shows.acast.com/madame-lanthropologue/episodes/anthropologie-du-confinement-2

- STORA, J-B. « Le stress », Que Sais-Je ? 2005, 127 p.

- VAYRE E. (2019), « Les incidences du télétravail sur le travailleur dans les domaines professionnel, familial et social », Le travail Humain, n°82, p.1 - 39


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